En écho aux troisièmes Rencontres de l'édition numérique, qui seront consacrées au livre papier au cœur du numérique, un article pour explorer les nouvelles technologies du papier électronique et connecté. En complément de cet article, retrouvez sur le site de notre partenaire éditorial Karoo une interview de Nathalie Paquet, fondatrice d'UrbanExpé et modératrice des Rencontres.

Dans un contexte de numérisation de l’écrit, la place occupée par le papier soulève forcément un grand nombre d’interrogations. Au regard des innovations actuelles, il semble que deux dynamiques  se croisent : d’une part, des dispositifs électroniques cherchent à imiter le papier, à reproduire son aspect le plus fidèlement possible ; d’autre part, des livres imprimés s’articulent avec des contenus multimédias et jouent la carte de la combinaison entre supports physique et numérique.

Du papier électronique au papier connecté, quelles sont les directions aujourd’hui explorées par les nouvelles technologies ?

Le papier électronique à la recherche de flexibilité

L’objectif du papier électronique est de reproduire l’apparence d’une feuille de papier traditionnel. À la différence des écrans à cristaux liquides que l’on retrouve presque partout, cette technique d’affichage consomme peu d’énergie et repose sur le principe de l’encre électronique : entre deux feuilles de verre ou de plastique sont positionnées des microcapsules, elles-mêmes chargées de pigments noirs et blancs, qui réagissent à des signaux électriques et s’ajustent à la surface de l’écran. Les applications envisageables concernent tout autant le secteur de la publicité et du packaging, où il devient possible de mettre au point des supports visuels dynamiques, que celui de la presse écrite et de l’édition.

Spécialement pensées pour la lecture de livres numériques, les liseuses actuelles fonctionnent à partir d’encre électronique et permettent d’obtenir un confort de lecture comparable à celui de livres imprimés. En dehors de ça, la technologie de l’encre électronique fait l’objet de multiples expérimentations dans le domaine de l’écrit. L’an dernier, par exemple, Sony lançait son Digital Paper, une feuille de papier électronique tactile, de taille A4, permettant d'accéder à des fichiers, d’effectuer des notes manuscrites à l’aide d’un stylet et de les partager. Situé à mi-chemin entre le carnet de notes et la liseuse, le Digital Paper a plutôt vocation à toucher le monde professionnel, non seulement parce que les fonctionnalités proposées valorisent avant tout l’annotation de documents, mais aussi en raison de son prix de vente élevé, actuellement autour de 700 euros. S’il est encore trop tôt pour se prononcer, il n’est pas interdit d’imaginer que ce genre d’innovation soit un jour adopté par les entreprises, les services administratifs et les établissements scolaires et universitaires.

 

 

Comme l’encre électronique présente des propriétés compatibles avec les technologies centrées sur la flexibilité, des écrans souples voient le jour depuis déjà un certain temps. En 2008, le papier électronique faisait l’objet d’une première déclinaison commerciale d’envergure lorsque le magazine américain Esquire publiait, à l’occasion de son 75e anniversaire, une édition spéciale intégrant une couverture animée. Depuis, des appareils de lecture flexibles ont été imaginés (le Readius de Polymer Vision, le Flex One de Wexler, le CAD Reader Flex de PocketBook, etc.), censés se signaler par leur légèreté, leur finesse et leur résistance aux chocs, et l’on parle régulièrement, dans les salons consacrés aux nouvelles technologies, d’écrans souples qu’il est possible de tordre, de plier, de manipuler plus ou moins comme une feuille de papier. Il y a trois ans, la firme britannique Plastic Logic dévoilait un écran à encre électronique tout à la fois flexible et en couleurs qui laissait entrevoir des opportunités assez spectaculaires.

 

 

Mais force est de constater que le papier électronique flexible n’a pas encore intégré notre quotidien de lecture. Sans doute les promesses portées en matière d’usage sont-elles passées au second plan par rapport à l’enjeu de l’amélioration du confort de lecture et à celui de la baisse des coûts de production dans un contexte où le marché des liseuses doit faire face à la concurrence d’autres dispositifs de lecture plus polyvalents. Régulièrement présentée comme le futur des appareils mobiles, la problématique des écrans flexibles est aujourd’hui de plus en plus explorée pour les smartphones, les tablettes et les montres connectées.

Le papier connecté, source d’hybridation

L’édition numérique ouvre également la voie à des initiatives qui misent sur l’hybridation entre les nouvelles technologies et le support papier. Ainsi envisagé, le principe du papier connecté renvoie au fait d’augmenter l’imprimé avec toutes sortes de contenus numériques. Des solutions technologiques sont aujourd’hui mises au point et présentent des opportunités en matière d’enrichissement et d’interactivité qui font l’objet d’expérimentations dans le domaine du livre et de la culture pour lesquelles Nathalie Paquet a livré un panorama très intéressant.

À l’origine, le premier moyen de connecter le support papier est le QR code, une sorte de code-barres renvoyant vers des ressources numériques, qui peut être scanné à partir d’un appareil mobile équipé d’une application de lecture spécifique. L’insertion de QR codes dans des livres permet de donner accès à des contenus additionnels, comme des images, des vidéos, des sons ou des textes. Dès 2009, Jacques Attali publiait chez Robert Laffont Le Sens des choses, un essai rempli de QR codes et réalisé en collaboration avec une trentaine d’auteurs. Trois ans plus tard, l’ingénieur Jean-Thierry Lechein lançait Qr1book, un livre ne contenant pas de texte mais uniquement des QR codes qu’il fallait scanner pour accéder aux contenus au fur et à mesure de sa lecture. Plus récemment, l’agence Urban Expé a imaginé un "livre dont vous êtes le héros", issue de la série du Loup Solitaire, parsemé de QR codes qui proposent des contenus différents en fonction de l’heure à laquelle vous le lisez.

Ces derniers temps, on parle de plus en plus de la reconnaissance d’image, une technologie concurrente qui renvoie à des ressources numériques en identifiant simplement une image sans recourir au carré noir et blanc du QR code, parfois jugé inesthétique et encombrant. Certains géants de la vente au détail ont intégré cette technologie à leurs catalogues papier, où le fait de scanner un article présenté permet au consommateur d’obtenir des informations sur son appareil et d’effectuer son acquisition. Dans le secteur du livre, l’américain Marvel en partenariat avec le studio Aurasma a mis au point un dispositif de réalité augmenté assez impressionnant. Lorsque vous lisez votre album de bande dessinée, vous pouvez scanner les pages marquées du logo AR (pour Augmented Reality) afin de déclencher sur votre terminal mobile le lancement de contenus multimédias variés, tels que des entretiens d’auteurs, des making-of de planches ou des fiches de présentation de personnages.

 

 

L’exploration des liens possibles entre le papier et les nouvelles technologies emprunte de nombreuses directions, souvent inattendues. En France, les éditions Volumiques développent un large éventail de dispositifs innovants, comme la toute nouvelle collection Zéphyr qui propose des livres pour enfants contenant des objets à découper puis à poser sur une tablette afin de continuer l’histoire sur un écran. Chez Disney, on teste actuellement de petits projecteurs que le lecteur manipule pour faire vivre des animations directement à l’intérieur d’un ouvrage imprimé. L’insertion de puces électroniques dans les pages d’un magazine ou d’un livre permet également de rendre certains contenus dynamiques. Par l’intermédiaire d’une webcam, il arrive que soient proposés des éléments interactifs en rapport avec le livre sur l’écran d’un ordinateur ou d’un téléviseur. C’est ainsi que le système de détection de mouvements développé par Sony pour sa Playstation 3 a donné lieu à Book of Spells, imaginé en collaboration avec l’écrivain J.K. Rowling, qui associe la lecture d’un livre à un jeu vidéo auquel l’utilisateur participe en faisant des gestes à l’aide d’une manette spécifique.

 

Bien entendu, toutes les innovations qui apparaissent n’ont pas vocation à investir le commerce mais peuvent aussi rester à l’état de prototype. A ce titre, des chercheurs du MIT ont conçu Sensory Fiction, un livre sensoriel qui fonctionne à partir d’une combinaison munie de capteurs que le lecteur enfile pour vivre une expérience plus immersive. Tout au long de la lecture, différents éléments interviennent pour transmettre de façon physique les émotions que le livre contient : diffusion de sons, changement de lumière, fluctuation de température, vibration, compression... Cette innovation, envisagée par ses concepteurs comme une expérimentation destinée à susciter le débat, laisse entrevoir une étape qui sera peut-être décisive un jour : celle d’un livre directement connecté au corps de son lecteur.


Cet article vous est proposé dans le cadre d'un partenariat éditorial exclusif entre Karoo et le PILEn autour du livre numérique afin d’explorer de manière complémentaire ses défis et enjeux pour les professionnels et le grand public. Tous les mois, aux articles thématiques publiés sur le site futursdulivre.be répondront des entretiens d’experts publiés sur karoo.me.