Le 22 octobre dernier, le PILEn organisait son second séminaire interprofessionnel portant sur la diffusion des ouvrages des petites et moyennes entreprises d’édition. Cette journée qui a réuni une quarantaine de professionnels a permis notamment de déterminer les enjeux et objectifs de la diffusion et d’effectuer un tour de table des pratiques et solutions innovantes. Après un mot de bienvenue de Benoît Dubois (administrateur-délégué des éditions Averbode et Président de l’ADEB), c’est Fabienne Rynik, responsable export à l’ADEB, qui a animé cette journée d’échanges, en collaboration avec Primaëlle Vertenoeil (EL&C).

 

1. Eléments de contexte

Les petites et moyennes maisons d’édition sont des PME au sens où elles emploient moins de dix personnes et réalisent un chiffre d’affaires de moins de deux millions d’euros. In fine, cette catégorie rassemble la quasi-totalité des maisons d’édition belges francophones. Pour beaucoup d’entre elles, on peut même parler de TPE.

Les structures de diffusion se chargent des relations commerciales avec les libraires. Les diffuseurs, via leurs équipes de représentants, présentent les nouveautés, effectuent des estimations de mise en place et informent les libraires des évolutions du marché. Le diffuseur est donc l’interlocuteur privilégié, le lien humain entre l’éditeur et le libraire. Souvent réuni au sein de la même structure, le distributeur a pour rôle le stockage physique des livres et la gestion des flux financiers.  

Une fois les ouvrages disponibles dans les différents canaux de vente, les acteurs du livre rivalisent de dynamisme et de créativité pour les faire exister aux yeux du public. « L’éditeur doit aujourd’hui faire événement autour du livre pour exister dans un marché saturé de titres », selon David Giannoni. En effet, l’éditeur doit désormais inclure dans ses actions celle de « surdiffusion », qui consiste à entretenir un lien étroit avec les libraires au-delà des relations commerciales de son représentant qui présente souvent la production de plusieurs éditeurs. Pour être bien identifié, pour insister sur les ouvrages qui représentent un enjeu pour telle ou telle librairie, pour organiser des rencontres avec les auteurs, … l’éditeur se doit de se déplacer vers le libraire et de communiquer directement avec lui. La surdiffusion complète et doit être coordonnée avec les autres actions de communication (presse) ou de relations publiques.

 

2. Se lancer dans l’édition, avec Laurence Nobécourt d’A pas de loups

En 2013, Laurence Nobécourt crée A pas de loups, une maison d’édition jeunesse. Après avoir essuyé de nombreux refus, Laurence confie la diffusion et la distribution de ses ouvrages à la société La Caravelle, pour la Belgique et à Zoé Diffusion pour la Suisse. A pas de loups n’a pas de diffuseur en France pour le moment. Trouver le bon diffuseur n’est pas chose évidente pour une jeune maison d’édition.

 

3. Travailler le patrimoine, avec Clotilde Guislain des éditions Mardaga

Clotilde Guislain dirige les éditions Mardaga, fondées en 1966 par Pierre Mardaga. Publiant essentiellement dans les domaines de l’architecture, de l’art et du patrimoine, la maison a également repris la gestion des éditions du Gerfaut en 2013 spécialisées en nature, chasse et pêche. Historiquement, Mardaga est associé au distributeur Sodis/Sofedis avec qui la maison d’édition travaille depuis 40 ans. Lorsque Clotilde Guislain reprend les rennes de la maison, c’est donc tout naturellement qu’elle se dirige vers la Sodis/Sofedis pour la diffusion/distribution des ouvrages Mardaga en France. Pour la Belgique, Clotilde Guislain confie alors la diffusion des ouvrages à une société qu’elle estime plus en adéquation avec la production de Mardaga : Adybooks, une société indépendante adossée à la grosse structure qu’est MDS pour la distribution. Ainsi, les ouvrages bénéficient à la fois de l’efficience d’une grande entreprise de distribution et d’une diffusion ciblée, presque militante.

La question essentielle subsiste : comment générer le flux ? Comment faire exister la vingtaine de nouveautés publiées chaque année par la maison d’édition belge ? Clotilde Guislain estime que de fortes passerelles entre éditeur, diffuseur et distributeur sont nécessaires pour porter le livre au lecteur. Chez Mardaga, on consacre un temps et une énergie importants aux actions ponctuelles autour des livres et aux relations avec les libraires, l’objectif étant d’aller trouver son lecteur. L’identification du public visé et le développement d’une stratégie marketing adaptée sont essentielles, et ce dès la conception du livre. Aux éditions Mardaga, certains titres-phare ont aujourd’hui 40 ans. La directrice de la maison parle de slow edition, un choix éditorial favorisant le travail à long terme. Pour faire vivre le fonds, on opte aussi pour le print-on-demand[1].

 

4. Se centrer sur la librairie, avec Gilles Martin des éditions Aden

La maison d’édition Aden est fondée en 2000 par Gilles Martin. Aden choisit rapidement les services de la société Les Belles Lettres en matière de diffusion et distribution. D’emblée Gilles Martin rappelle l’importance de l’aspect commercial de son activité. Il soulève néanmoins le paradoxe suivant : nombreux sont les éditeurs qui se voient refusés par les grosses structures de diffusion/distribution, réduisant ainsi les débouchés commerciaux de ces maisons d’édition.

Pour Gilles Martin, le cœur des métiers du livre prend sens dans la librairie, dont le rôle est central. C’est pourquoi, la stratégie d’Aden est centrée sur la librairie. Cela semble donc aller de soi que les éditons Aden se soient associées à Espace Livres et Création pour ouvrir la librairie Joli Mai à Bruxelles.

Gilles Martin ne manque pas d’évoquer les difficultés que rencontrent les éditeurs qu’il dit fragilisés par la chaîne du livre. Ainsi, la constitution de fonds est freinée par les problèmes de trésorerie. Sont remis en cause : les délais imposés aux éditeurs, ces derniers subissant déjà une forte pression. Le constat dressé est loin d’être complètement noir : en effet, certains succès éditoriaux permettent aux petites et moyennes maisons d’édition de maintenir un certain équilibre.

 

5. Coordonner l’information, avec Claire Nanti de Livre aux trésors

Depuis 2002, les lecteurs franchissent le pas de la porte de la librairie liégeoise Livre aux trésors. Une attention particulière aux petits éditeurs indépendants a conduit Claire Nanti à travailler avec Anne Leloup pour Esperluète avant de rejoindre l’équipe de Livre aux trésors.

La jeune libraire attire l’attention sur l’importance d’une bonne gestion coordonnée de l’information, car cela augmente la fidélisation des lecteurs. Informer les librairies des disponibilités et leur envoyer les services presse pour leur permettre de travailler les titres en amont prend une dimension capitale puisque cela permet de favoriser le lien entre livre et lecteur.

Soulevant la problématique des frais de transport, Claire invite également les professionnels présents autour de la table à envisager une action commune pour un tarif préférentiel de frais de port pour le livre.

 

6. Faire vivre la poésie hors des sentiers battus, avec David Giannoni des éditions Maelström et de l’Arbre à Paroles

Depuis 2007, David Giannoni dirige la Maison de la Poésie d’Amay. Les éditions de l’Arbre à Paroles et MaelstrÖm bénéficient ainsi des avantages qu’offrent cette structure vieille de 50 ans.

Lorsqu’en 2002, La Caravelle cesse de travailler avec une série de petits éditeurs, MaelstrÖm crée sa propre structure de distribution. Constatant l’érosion de la mise en place et l’augmentation des taux de retours, David Giannoni opte pour des solutions difficiles, voire audacieuses. La Maison de la Poésie d’Amay fait ainsi le pari de la diversité et du choix, en pratiquant le dépôt. David Giannoni en est convaincu : le dépôt impose une lourde gestion mais se révèle finalement plus intéressant et permet aux libraires de travailler le fonds.

MaelstrÖm, c’est également une librairie avec 80% de poésie dans les étalages et un festival de poésie, le fiEstival, qui s’organise chaque année depuis 2007 à Bruxelles, à l’Espace Senghor. L’Arbre à Paroles et MaelstrÖm peuvent se targuer de vendre trois fois plus à cette occasion qu’à la Foire du livre de Bruxelles. Pour David Giannoni, l’événementiel n’est pas substitutif mais complémentaire et vital à l’activité éditoriale.

 

7. Mutualiser les forces, avec Anne Leloup des éditions Esperluète

Les éditions Esperluète, dirigées par Anne Leloup, existent depuis une vingtaine d’années et ont connu différentes phases de diffusion/distribution. Abandonnée par ses diffuseurs, Anne Leloup décide de mettre en place une série de solutions. Ne souhaitant plus confier la diffusion de ses ouvrages à une autre structure, elle s’associe à des éditeurs français et crée Les éditeurs associés il y a une dizaine d’années. Porteuse d’initiatives et de projets autour des productions éditoriales, l’association est composée d’un noyau de 4-5 éditeurs qui définissent notamment les actions à mener. Cette mutualisation des moyens permet aux éditeurs associés de réunir parfois jusqu’à 30 éditeurs lors d’actions ponctuelles (un stand collectif dans un salon, par exemple). Les éditeurs associés ont également ouvert une librairie-galerie à Paris, où sont présentés les catalogues d’une quinzaine d’éditeurs indépendants.

 

8. Promouvoir l’édition indépendante, avec Anna Rizzello d’Elea Diffusion

Les éditions françaises de La Contre Allée ont développé Elea Diffusion, structure s’attachant à la diffusion et à la promotion d’éditeurs indépendants, du Nord-Pas de Calais mais pas seulement (d'autres régions de France sont représentées, notamment pour l'édition jeunesse), et ouverte aux éditeurs belges. Les clients qu’Elea Diffusion cible sont les médiathèques. Présentant en bibliothèque un catalogue d'une quarantaine d'éditeurs hétéroclites, Anna Rizzello défend une démarche proactive favorisant la diversité et le travail des fonds éditoriaux. Les représentants[2] se déplacent, présentent les titres et les laissent aux bibliothécaires. Le cœur des activités d’Elea Diffusion est centré sur les médiathèques, ce qui n’empêche pas Anna Rizzello de mettre en place une série d’actions ayant pour mission d’aller à la rencontre des publics: des librairies éphémères, présentations lors d’une quarantaine de salon par an, etc.

D’après Anna Rizzello, Elea Diffusion maintient un certain équilibre financier car la structure ne dépasse pas ses moyens. Les éditeurs s’affilient gratuitement et déposent leurs titres à Elea Diffusion, qui prend une commission sur les ventes.

 

9. Miser sur le numérique, avec Geoffroy Wolters d’i6doc

i6doc est une initiative de la Ciaco, une coopérative indépendante de l’université de Louvain au service du monde académique et culturel créée en 1970. Elle inclut deux pôles : l’un axé papeterie, l’autre axé imprimerie/librairie/édition. L’activité de la Ciaco connaît une renaissance dans les années 2000 avec un redéveloppement de l’imprimerie.

Les difficultés rencontrées par les éditeurs scientifiques en matière de diffusion et la maîtrise des outils numériques du personnel de la Ciaco conduisent à ce redéploiement des forces. La plateforme numérique i6doc peut s’appuyer sur un large réseau de chercheurs et permet une diffusion ciblée bien que très éclatée géographiquement. Optant pour l’impression à la demande, les problèmes de stockage et de coût des tirages sont minimisés. Saisissant rapidement l’importance que revêt la maîtrise des métadonnées, i6doc utilise le standard international Onix.

De fait, une bonne maitrise des outils numériques et du web constituent des leviers modernes décuplant les possibilités pour un ouvrage de trouver son public, comme nous le rappelle Chantal Lambrechts, consultante en communication/marketing et stratégie numérique.

 

 

[1]Print-on-demand = impression à la demande. Voir à cet égard l'article paru en juin dans Lettres Numériques :http://www.lettresnumeriques.be/2014/06/06/print-on-demand-cote-belge/

[2] Elea Diffusion est situé à Lille et emploie Anna Rizzello ainsi que deux représentants qui travaillent sous un statut d'indépendant.