A l'occasion de sa présence à la Foire du Livre de Bruxelles (retrouvez ici notre programme complet), qui se déroulera du mercredi 25 février au lundi 2 mars 2015, le PILEn vous propose de se pencher ce mois-ci sur les liens entre les foires du livre et le numérique. Pour prolonger la lecture de cet article, n'hésitez pas à lire l'interview d'Ana Garcia, Commissaire Générale de la Foire du Livre de Bruxelles sur le site de notre partenaire éditorial Karoo.

Une foire consacrée au livre se présente comme une manifestation littéraire qui « a ceci de particulier qu’elle intègre en un temps donné, celui de l’événementiel, l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre et, tout à la fois, offre l’opportunité idéale du contact direct entre l’auteur et son lecteur ».1 Il s’agit donc non seulement d’un lieu de médiation et d’information destiné au grand public, articulé autour d’étalages de livres, de rencontres, de séances de signature et de conférences, mais aussi d’un espace où les professionnels du secteur en profitent pour échanger, communiquer, se renseigner sur les dernières tendances et éventuellement réaliser des affaires2.

Depuis que les technologies numériques investissent l’industrie du livre, leur présence dans ce genre d’événement est assurée. On se souvient qu’en 2000, déjà, Cytale présentait sa liseuse électronique Cybook lors de la 20e édition du Salon du livre de Paris3. On se souvient également que la même année l’International eBook Award Foundation, financée par Microsoft, remettait pendant la Foire de Francfort une série de prix distinguant des livres numériques. On se souvient enfin qu’en 2001 la Foire du livre de Bruxelles accueillait pour la première fois un « village e-book ». Ces initiatives, vieilles d’une quinzaine d’années, montrent que la mise en valeur du numérique dans les grandes manifestations littéraires ne constitue pas franchement une nouveauté.

Equipements et communication en ligne

D’un point de vue purement concret, le numérique a tout d’abord donné l’occasion aux organisateurs de faciliter leurs relations avec le public. La communication passe désormais en partie par les médias en ligne. La billetterie, la programmation et les renseignements pratiques sont aujourd’hui disponibles sur les sites Internet des foires et des salons, tandis que des applications téléchargeables sur terminaux mobiles permettent d’emporter avec soi ces informations. Du côté des professionnels, cela s’accompagne également de la mise à disposition de ressources particulières, comme des espaces en ligne réservés aux exposants ou des solutions pour simplifier la délivrance d’accréditations.

En janvier 2015, l’International Publisher Association (IPA) a publié un rapport sur l’avenir des foires du livre. L’enquête menée auprès de professionnels de l’édition cherchait à mesurer leur niveau de satisfaction à propos de 55 manifestations dans le monde. Les résultats obtenus montrent qu’ « à une époque où beaucoup d'affaires se concluent en ligne, les foires du livre restent très importantes pour les éditeurs ». Les relations personnelles et les possibilités d’échanges et de rencontres que ce type d’événement autorise jouent toujours un rôle de premier plan. D’autre part, il apparaît que 41% des répondants au questionnaire considèrent les services informatiques proposés par les salons comme « insatisfaisants » ou « très mauvais ». Les limites en matière d’équipement et de connectivité sont soulignées par l’étude, qui conclut qu’ « avec des voyageurs d’affaires habitués à un accès Wifi en continu, les foires du livre n’ont aucune excuse pour traîner les pieds. »

Des lieux de promotion du numérique

Durant ces manifestations littéraires, des évènements spécialement dédiés au numérique sont également mis en place. C’est ainsi qu’en France le Syndicat National de l’Edition et la Sofia organisent depuis 2008 les « assises du livre numérique », qui se déroulent pendant le Salon du livre de Paris. A Londres, le « Gaming Pavilion » permet depuis l’an dernier à des éditeurs, des distributeurs et des développeurs de jeux vidéo de se rencontrer. Le « pôle numérique » de la Foire du livre de Bruxelles, quant à lui, accueille des conférence, des ateliers et des tables-rondes autour de la question des nouvelles technologies. Plus original, la capitale belge organise depuis 2013 une performance multimédia, l’Imaginarium, pendant laquelle s’articulent des images animées, des sons et des jeux de lumières, en même temps que l’intervention en directe d’un dessinateur de bande dessinée. A Francfort, à Bologne et un peu partout dans le monde, force est de constater que les salons du livre accordent une place particulière au numérique. Chaque évènement d’envergure est aujourd’hui doté d’un espace de médiation et de temps de discussion autour de cet enjeu. Parallèlement à ces initiatives, d’autres manifestations voient le jour, cette fois-ci exclusivement tournées vers le numérique, comme l’E-book Expo à Tokyo, le Digital Book World Conference & Expo à New York, le salon Cross-Media Publishing/Demain le Livre à Paris ou, plus récemment, la Quinzaine du livre numérique jeunesse à Grenoble dont la première édition vient de se tenir.

Parmi les exposants figurent désormais les acteurs de la filière engagés sur le terrain des nouvelles technologies. Pour ceux-là, les foires et les salons fournissent des occasions de se montrer, de faire des annonces et de dévoiler leurs dernières innovations. En 2012, par exemple, Amazon s’était signalé en venant pour la première fois au Salon du livre de Paris afin de présenter le Kindle, quelques mois après son lancement sur le marché français, avec un stand de 80m2 et une grande quantité de liseuses en démonstration. Kobo, Sony, Bookeen et beaucoup d’autres ont maintenant l’habitude de fréquenter ces évènements. A l’occasion de la dernière édition de la Foire de Francfort, Samsung, spécialiste sud-coréen de l’électronique, a déployé une communication d’envergure : « drapeau, vélo-navettes, stands, écrans géants, affiches, toutes les déclinaisons possibles pour faire apparaître les derniers produits, le Galaxy Note 4 et la Samsung Gear S, ont été imaginées ».

A côté de ces géants du numérique, des start-ups et des entreprises nouvellement créées qui misent sur l’innovation font également connaître les services et les produits qu’elles proposent. Tous les domaines, toutes les étapes de la chaîne de valeur sont aujourd’hui concernés, de la création à la lecture en passant par l’édition et la commercialisation. Récemment, par exemple, la société chinoise Jiangsu Red Chamber Dream World Co, forte de ses trois ans d’existence et de sa quarantaine de salariés, a attiré l’attention à Francfort avec ce qui était présenté comme le « premier livre à lire avec des Google Glass ». On le voit, les manifestations littéraires permettent à ces acteurs de communiquer à propos de leurs activités et de relayer un discours d’accompagnement venant légitimer et promouvoir des développements technologiques. Dans un article intitulé « Qu’est-ce que la lecture sociale ? », le chercheur Marc Jahjah explique ainsi comment l’expression « lecture sociale », couramment utilisée pour désigner un ensemble de situations d’échanges littéraires qui se développent avec le numérique (plateformes, logiciels de lecture), s’est diffusée ces dernières années dans l’industrie du livre, en particulier lors de salons internationaux et de foires sur l’édition électronique.

Au-delà de cette dimension promotionnelle, les salons du livre cristallisent les frictions et les oppositions qui traversent la filière. Grand absent de la Foire de Francfort en octobre dernier, Amazon a pourtant saisi l’occasion pour annoncer le lancement en Allemagne de son offre de streaming illimitée, tandis que dans le même temps 14 organismes professionnels européens signaient la première « déclaration européenne pour le livre », où étaient pointées du doigt les pratiques commerciales de certaines multinationales de l’Internet, accusées de fausser la concurrence, de se livrer à du dumping social et de casser « les prix pour pénétrer sur les marchés, acquérir une position dominante et vendre leurs propres produits ». Une attaque qui visait notamment Amazon, sans le nommer directement.


1 Centre Régional du Livre de Lorraine, 2008, proposition avancée dans le cadre de l’élaboration d’une charte des manifestations littéraires en Lorraine, cité in Le monde du livre en salon, Le livre sur la place à Nancy (1979-2009), thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université Nancy 2, Adeline Clerc, 2011, p.63.

2 Tandis que certaines foires sont exclusivement réservées aux professionnels ou tournées vers le grand public, d’autres se signalent par leur caractère hybride et aménagent des jours d’ouverture distincts pour ces deux catégories de visiteurs. Au Salon du livre de Paris, par exemple, une matinée est habituellement dévolue aux professionnels du secteur.

3 L'échec du livre électronique de Cytale au prisme des processus de traduction, Dominique Nauroy, Presses de l’Enssib, 2007

 

 

 

 

Cet article vous est proposé dans le cadre d'un partenariat éditorial exclusif entre Karoo et le PILEn autour du livre numérique afin d’explorer de manière complémentaire ses défis et enjeux pour les professionnels et le grand public. Tous les mois, aux articles thématiques publiés sur le site futursdulivre.be répondront des entretiens d’experts publiés sur karoo.me.