Alors que vendredi 20 mars le PILEn organise en collaboration avec l'iMAL, Packed et PointCulture une conférence intitulée « From the CD-Rom to the future of electronic publishing », nous proposons de revenir sur les moments-clefs de l’histoire du numérique dans le secteur de l’édition. En complément de cet article, retrouvez sur le site de notre partenaire éditorial Karoo une interview de Thibault Léonard, fondateur de Primento.

« Le numérique n’est pas l’avenir des livres parce qu’il est déjà advenu »1. Formulée par Christian Robin, maître de conférence en communication à l’université Paris 13, cette phrase relativise grandement la nouveauté des développements technologiques auxquels l’industrie du livre se confronte. Depuis presque un demi siècle, la vague d’innovations qu’il est possible d’observer concerne tout à la fois l’informatisation de la filière (impression, PAO, production, diffusion, marketing, etc.) et la progression de la lecture sur écran (tablette, liseuse, smartphone, ordinateur).

Le temps des pionniers

Le lancement du projet Gutenberg en 1971 est souvent présenté comme une étape fondatrice. Étudiant à l’université de l’Illinois, Michael Hart décide de créer le premier e-book à partir de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. L’initiative s’étoffe au fil du temps et d’autres textes sont numérisés avec l’aide d’une équipe de bénévoles : de 10 textes en format numérique en 1989 on passe à 1000 en 1991 et à près de 49 000 aujourd’hui. Dans le sillage du projet Gutenberg, d’autres sites Internet se mettent à proposer des livres numériques. Pour recenser l’ensemble de ces textes disponibles en ligne, John M. Ockerbloom met en place l’Online Books Page en 1993, un gigantesque répertoire hébergé par la bibliothèque de l’université de Pennsylvanie. Quant à la bibliothèque numérique de la BnF, Gallica, sa création en 1997 répond à l’ambition de diffuser des ressources électroniques. Chez ces pionniers du numérique, on retrouve de manière marquée une volonté de numériser, de préserver et de mettre à la disposition des lecteurs le patrimoine écrit.

En parallèle, il convient de souligner l’apparition de supports d’informations numériques qui accueillent des contenus multimédias : la disquette, dont l’usage se développe au milieu des années 1980, est supplantée par le CD-Rom la décennie suivante. Les secteurs de l’encyclopédie, du dictionnaire, de l’éducation sont surtout concernés. À l’époque, on observe la mise sur le marché d’objets éditoriaux hybrides, associant la vente d’un livre à celle du CD-Rom et combinant du texte, des images, du son et de la vidéo. Au CD-Rom succèdera le DVD-Rom, puis la clef USB pour stocker et transporter des données.

Des transformations multiformes

La montée en puissance d’Internet accélère sensiblement le développement du livre numérique tout au long des années 19902. Si de nombreux acteurs tentent très tôt de vendre des livres dans le monde virtuel (Alibabook, Alapage, Fnac, Chapitre, BOL, etc.), Amazon entre sur le marché en 1995 et s’impose durablement sur le terrain de la librairie en ligne. Au tournant du millénaire, des eBookStores sont mis en place puis tendent à se multiplier, tandis que de nouveaux intermédiaires apparaissent pour assurer la diffusion et la distribution.

Dans le même temps, les appareils de lecture sur écran se développent. Une première vague de liseuses voit le jour, avec le SoftBook (1998), le Rocket eBook (1999), le Gemstar eBook (2000) et le Cybook (2001), à laquelle succède une seconde vague au milieu des années 2000, portée par le Sony Reader (2006), le Kindle (2007) ou encore le Kobo (2010). Les tablettes tactiles donnent un second souffle à la lecture sur écran à partir de 2010, dans le sillage de l’iPad commercialisé par Apple. Durant cette période, les formats pour les livres numériques prolifèrent, chaque société engagée sur le marché proposant sa propre solution, si bien que la nécessité de concevoir un format standard et ouvert aboutit à la conception de l’ePub en 2005 par l'International Digital Publishing Forum (IDPF).

La problématique de la numérisation du patrimoine livresque est reprise à son compte par Google, qui lance en 2004 son service Google Books. Pour le géant californien, l’idée est de numériser massivement les fonds d’importantes bibliothèques publiques, dont la diffusion en ligne n’est pas sans poser des difficultés juridiques conséquentes. Dans cette veine, la bibliothèque numérique européenne, Europeana, est inaugurée en 2008 et rassemble des millions de documents numériques, issus de bibliothèques nationales et d’institutions des pays membres de l’Union Européenne. Dans une logique de développement de l’accès aux textes, les bibliothèques se mettent également à proposer pour leurs utilisateurs des offres de prêt d’e-books un peu partout dans le monde.

Du côté des producteurs de contenus, signalons que les auteurs s’emparent assez vite du web pour communiquer, mener des expériences d’écriture et accéder à de nouvelles opportunités de publication. Les technologies de l’information transforment également les modes de production et de communication des maisons d’édition, qui se positionnent sur le marché du livre numérique à des rythmes différenciés en fonction de leur sphère de spécialisation. Si le monde de l’encyclopédie est durement touché par l’essor de Wikipédia, le secteur scientifique et professionnel réussit très tôt sa transition numérique. Ailleurs, les éditeurs traditionnels avancent le plus souvent avec prudence, s’efforçant de préserver un certain équilibre entre le papier et le numérique. Après les expériences pionnières d’Editel, de Cylibris ou encore de 00h00 à la fin des années 1990, les maisons d’édition électroniques prolifèrent, comme Publie.net, L’Apprimerie, Numeriklivres, Edicool, Storylab, NeoWood, Open Road Media ou Multivers, pour n’en citer que quelques-unes.

Dans ce contexte, le marché du livre numérique a connu une progression évidente, quoique moins rapide que ce qui était attendu par certains observateurs. Aux États-Unis, 512 millions d’e-books ont été écoulés en 2013, ce qui représente 20% du marché de l’édition3. Dans les pays européens, les situations divergent et le livre numérique ne constitue pas toujours un bien de consommation courante : tandis que le Royaume-Uni et les pays scandinaves se signalent par leur dynamisme, c’est nettement moins le cas de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de la Belgique et de l’Italie, où les parts de marché du livre numérique oscillent entre 1 et 5%. Si les nouvelles technologies font l’objet de multiples applications dans l’industrie du livre depuis de nombreuses années, le marché de l’e-book est loin d’être arrivé partout à maturité.


Cet article vous est proposé dans le cadre d'un partenariat éditorial exclusif entre Karoo et le PILEn autour du livre numérique afin d’explorer de manière complémentaire ses défis et enjeux pour les professionnels et le grand public. Tous les mois, aux articles thématiques publiés sur le site futursdulivre.be répondront des entretiens d’experts publiés sur karoo.me.

 

1 Les livres dans l’univers numérique, Christian Robin, La documentation française, 2011, p.8.

2 Une courte histoire de l’ebook, Marie Lebert, NEF, Université de Toronto, 2009, http://www.etudes-francaises.net/dossiers/ebook.htm

3 BookStats, volume 4, 2014.