Le Conseil Permanent des Écrivains (CPE) a organisé un après-midi de réflexion sur l'avenir de l'auteur au Parlement européen de Bruxelles, sous le parrainage et avec la participation des députés européens Jean-Marie Cavada, Constance Le Grip et Virginie Rozière. Cette conférence, intitulée "L'auteur européen dans le XXIe siècle", a eu lieu le 26 avril 2016, Journée internationale de la propriété intellectuelle.

À cette occasion, les organisations membres du CPE ont pu constater non seulement une convergence de vues avec les parlementaires européens, mais également le fait que les projets de la Commission, tels que les a présentés le cabinet de Günther Oettinger, ne constituent plus une mise en cause brutale et injustifiée du droit d'auteur. Sous la pression des milieux professionnels, une évolution est notable de la part de la Commission Juncker, prenant en compte la revendication d'une juste rémunération des auteurs et la réflexion sur la responsabilité des opérateurs du net tant pour lutter contre la piraterie que pour équilibrer le partage de la valeur. Mais il convient de rester extrêmement vigilant et prudent tant que n'est pas connu notamment le projet de réforme de la directive sur le droit d'auteur.

Pierre Sellal, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, a également salué l'initiative du CPE. Il a insisté sur la valeur non seulement culturelle mais aussi économique du droit d'auteur et la nécessité d'une interprétation restrictive des exceptions au droit exclusif. Il a appelé les pouvoirs publics à lutter efficacement contre les violations de la propriété intellectuelle.

À l'occasion de cette journée, qui a permis des échanges fructueux, le CPE a formulé les douze propositions suivantes à l’intention des responsables politiques européens, pour que les auteurs puissent continuer à exercer leur liberté d’expression, à fournir des œuvres de qualité à la première industrie culturelle d’Europe et à faire rayonner la littérature européenne dans le monde :

 

1. Affirmer un droit d’auteur européen fort, garant des droits patrimoniaux et moraux des créateurs

Un droit d’auteur offrant un haut niveau de protection aux auteurs est une condition sine qua non d’une création forte et diverse. La très grande majorité des pays de l’Union sont régis par le système du droit d’auteur continental, qui place le créateur sous sa protection et lui garantit son droit de propriété sur l’œuvre, ainsi que la pleine jouissance de ses droits moraux. Les auteurs européens sont très attachés à cette vision du droit d’auteur, centrée sur l’auteur, et ne veulent pas la voir confondue avec l’approche anglo-saxonne du copyright, centrée sur l’investisseur.

2. Garantir une rémunération juste et équitable aux auteurs

Les auteurs du livre sont à l’origine d’une chaîne de création de valeur qui fait vivre plus de 500 000 personnes en Europe et un secteur économique au chiffre d’affaires de plus de 23 milliards d’euros. Ils doivent recevoir une juste part des revenus générés par leurs œuvres, que ce soit dans le cadre d’une exploitation directe par l’éditeur, d’exploitations dérivées ou d’une gestion collective. Le droit de la concurrence ne doit pas pouvoir être opposé aux associations d’auteurs dans le cadre de leurs négociations avec les représentants d’éditeurs ou d’utilisateurs des œuvres ; et lorsque des systèmes sont mis en place pour compenser un préjudice lié à l’utilisation de leurs œuvres (reprographie, copie privée, prêt public), ces systèmes doivent assurer aux auteurs une part autonome correspondant a minima à 50 % des sommes collectées.

3. Équilibrer les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs

Pour garantir aux créateurs des conditions équitables, il est nécessaire d’équilibrer les relations contractuelles en luttant contre les contrats d’adhésion (imposés aux auteurs sans possibilité de négociation), contre les clauses abusives qui figurent dans les contrats (telles que les cessions de droits globales, forfaitaires et illimitées dans le temps) et en donnant à l’auteur un meilleur contrôle sur l’exploitation de son œuvre (possibilité de reprendre des droits non exploités, régularité et transparence des redditions de compte). Les négociations collectives aboutissant à la rédaction de contrats-types et à la conclusion d’accords professionnels doivent être encouragées et la possibilité devrait être donnée aux organisations d’auteurs de se porter en justice dans le cadre d’actions collectives.

4. Préférer les solutions contractuelles ou la gestion collective à la multiplication des exceptions obligatoires

Les exceptions sont toujours une expropriation des droits patrimoniaux et moraux de l’auteur. Elles ne doivent donc être envisagées qu’avec une extrême prudence et dans des cas spécifiques ne portant pas atteinte à l’exploitation normale des œuvres et aux intérêts légitimes des auteurs.

Une hypothétique « compensation » reposant sur des budgets publics fragilisés ne saurait rendre acceptable une multiplication d’exceptions obligatoires qui ne pourront être financées.

Aux exceptions, on préférera donc les solutions contractuelles et les systèmes de licences collectives, à l’exemple de ceux qui existent déjà dans la quasi-totalité des États pour les usages pédagogiques ou qui sont mis en place pour les œuvres indisponibles suite au protocole d’accord de 2012. La coopération entre les sociétés de gestion de droits permet alors de répondre aux besoins transfrontaliers.

5. Encourager le dialogue entre les différents acteurs de la chaîne du livre

Il est absurde d’opposer les auteurs d’une part et les lecteurs/consommateurs/usagers de l’autre. L’intérêt de tous les acteurs de la chaîne du livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, lecteurs) est de créer un environnement favorable à une large diffusion des œuvres et des idées. Il faut aussi pour cela se défaire de l’illusion du « tout gratuit » entretenue par internet et construire ensemble les nouveaux équilibres législatifs et contractuels qui permettront à la création littéraire comme à la lecture de s’épanouir comme moteur fondamental de l’économie numérique.

6. Lutter efficacement contre le piratage en mettant fin au régime d’irresponsabilité des plateformes et intermédiaires en ligne

Certains intermédiaires en ligne bénéficient aujourd’hui d’un régime de responsabilité limitée alors qu’ils exercent bien une activité éditoriale en donnant accès à des œuvres protégées sans se limiter au rôle de simples prestataires techniques. Ceci rend presque impossible le retrait effectif des œuvres illégalement présentes sur internet.

Pour lutter efficacement contre le piratage, il faut que ces faux « hébergeurs » soient clairement tenus d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits pour procéder à une communication des œuvres au public.

7. Favoriser l’interopérabilité des systèmes de lecture

Les lecteurs doivent pouvoir acheter les livres de leur choix via une librairie physique ou virtuelle sans être enfermés dans le format propriétaire d’un fournisseur. L’interopérabilité des formats et des systèmes de lecture (liseuses, tablettes, logiciels, plateformes d’accès) est dans l’intérêt des consommateurs et contribuera au renforcement de l’offre légale.

8. Appliquer un taux réduit de TVA au livre, quel que soit son format

Le taux de TVA le plus bas possible devrait être appliqué au livre, quel que soit son format, son mode de diffusion ou de livraison. Une TVA élevée et discriminatoire sur le livre numérique nuit au développement de ce marché et de l’économie de la connaissance.

9. Maintenir et promouvoir les politiques de prix unique du livre

Nombre de pays européens pratiquent une régulation du prix du livre. Cette régulation est favorable à la diversité culturelle, inscrite dans les objectifs et les engagements de l’Union européenne, ainsi qu’au maintien en concurrence loyale d’une pluralité de réseaux de distribution.

Nous sommes très attachés à cette politique, qui a aussi toute sa raison d’être sur internet, où l’industrie du livre fait face à la concurrence de grands acteurs internationaux qui pratiquent l’optimisation fiscale et le dumping à grande échelle pour établir des positions dominantes sur le marché.

10. Renforcer l’exception culturelle

Les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Cette idée a notamment conduit à prévoir dans la négociation des traités de libre-échange une clause d’« exception culturelle », qui ne couvre malheureusement aujourd'hui que le secteur audiovisuel. Nous appelons l’Union européenne à demander que l’édition et les autres secteurs culturels soient également exclus du périmètre des négociations en vue du partenariat transatlantique (TTIP) et autres traités commerciaux.

11. Favoriser la diversité et la circulation des œuvres en encourageant leur traduction

Dans une Europe riche de sa diversité culturelle et linguistique, la traduction, qui contribue efficacement à la circulation des œuvres, doit être une priorité. Outre l’aide directe à des projets de traduction, une telle politique peut passer par un soutien indirect aux traducteurs littéraires (formation initiale, professionnalisation, mobilité, pleine reconnaissance de leur statut d’auteurs) et aux initiatives de mise en réseau des institutions et fonds nationaux qui aident la traduction. La constitution d’un fonds européen pour la traduction littéraire serait également à envisager.

12. Sauvegarder la liberté d’expression et soutenir la création

Alors que la liberté d’expression et de création est de plus en plus souvent remise en cause, y compris en Europe (censure et autocensure liées à la menace terroriste, pressions de la part de gouvernements autoritaires, censure exercée par des intermédiaires techniques…), il est essentiel de rappeler qu’elle constitue l’un des fondements de notre identité commune et une valeur que nous ne cesserons jamais de défendre.

Pour qu’elle continue à s’épanouir, pour que les auteurs conservent la liberté de choisir leurs sujets, leurs formes d’écriture, leurs canaux d’édition et de diffusion, il est également important de soutenir concrètement la création individuelle en préservant les grandes politiques éducatives et culturelles, en développant les aides publiques aux auteurs (fonds d’écriture, résidences, fonds de formation, soutien aux organisations professionnelles) et en accompagnant l’innovation, notamment numérique, par le biais d’acteurs régionaux ou sectoriels qui poursuivent des stratégies d’excellence dans l’industrie du livre. C’est ainsi que la littérature européenne pourra continuer à toucher des publics toujours plus larges en Europe, mais aussi dans le monde.

 

À l’issue de cette rencontre, le CPE a formulé le vœu que les autorités européennes reprennent à leur compte ces propositions afin d´assurer un haut niveau de protection des auteurs tout en tenant compte du nouvel environnement numérique et économique.

Tel est le souhait exprimé par Valentine Goby (Présidente du CPE), par les auteurs européens, représentés à la conférence par Philippe Geluck, Juan Pedro Aparicio, Morten Visby, mais également par les éditeurs, représentés par François Pernot (directeur général des éditions Dargaux Lombard, directeur général du Pôle Image de Media-Participations).