A l'occasion du lancement cette semaine de Librel.be, le portail numérique des libraires francophones de Belgique, Karoo et le PILEn vous proposent un focus sur librairie et numérique. En complément de cet article, retrouvez une interview de Philippe Goffe, responsable du projet Librel, sur karoo.me.

 

Acheter un livre e ligne est devenu un acte banal. Selon l’enquête Ipsos/PILEn d'avril 2013 portant sur les marchés numériques du livre en Belgique, un tiers des lecteurs d’ouvrages imprimés procèdent à leur achat sur Internet. A partir d’une succession de clics et de mots-clefs renseignés dans un onglet de recherche, les interfaces permettent de naviguer à l’intérieur d’une base de données bibliographiques, de s’informer sur l’un ou l’autre livre, de l’ajouter à son panier, de l’acheter, puis de le recevoir à domicile en un temps très court. La qualité du service est souvent mise en avant, en particulier le confort d’achat, l’étendue de l’offre et sa disponibilité.

Plus que jamais, les rapports que le commerce de la librairie entretient avec le numérique cristallisent l’attention. Si de nombreuses entreprises se sont engagées sur le marché francophone à partir de la fin des années 1990, celui-ci s’est progressivement structuré autour de deux acteurs – Amazon et Fnac – dont les activités couvriraient aujourd’hui environ 90% des ventes de livres sur Internet1. Une concentration qui s’accompagne de débats très vifs à propos des pratiques commerciales de ces opérateurs2 et que la montée en puissance du livre numérique ne devrait pas remettre en cause3.

Magasins en ligne, marketplace et portails collectifs

Dans un contexte où le commerce sur Internet apparaît comme le seul canal de vente de livres en progression depuis plusieurs années, les librairies sont amenées à s’organiser pour maintenir leurs parts de marché. Nombre d’entre elles ont misé sur l’extension en ligne de leurs activités commerciales en mettant en place des solutions qui permettent de passer commande et de se faire livrer à domicile, ou alors de réserver à distance un titre en magasin.

Par ailleurs, il n’est pas rare que des libraires adhèrent à un système de « marketplace » (ou place de marché) par l’intermédiaire duquel leur fonds est diffusé sur la plateforme d’un important opérateur contre le paiement d’un abonnement ou d’une commission prélevée sur chaque transaction. Sinon, il existe aussi des portails collectifs qui regroupent l’offre d’un ensemble de points de vente. Ces dernières années, la multiplication en France d’initiatives mutualistes, comme Lalibrairie.com, Placedeslibraires.fr, Librest.com, Parislibrairies.fr ou encore Leslibraires.fr, témoigne de la volonté de mieux organiser la présence sur Internet des librairies indépendantes. Toutefois, la fermeture de 1001libraires.com en dépit du soutien des pouvoirs publics en 2012, un an seulement après son lancement, montre qu’il reste difficile d’investir le marché à l’heure où celui-ci paraît déjà structuré4.

De nouvelles plateformes pour le livre numérique

Selon le sociologue Vincent Chabault, « la vision actuelle du marché du livre numérique laisse présager la concentration de la vente au détail entre les mains de quelques opérateurs formant un oligopole : Apple, Amazon, Google, Feedbooks et quelques distributeurs nationaux qui équipent les commerces indépendants (ePagine, immatériel.fr) »5. A ces entreprises en position de force, il convient d’ajouter les grandes surfaces culturelles (la Fnac en partenariat avec Kobo) et les chaînes de grande distribution (Carrefour avec la liseuse Nolim). Dans le paysage très concurrentiel du commerce du livre numérique se pose donc la question du rôle endossé par les librairies indépendantes.

La rentrée 2014 doit notamment marquer le lancement de deux nouvelles plateformes. Tout d’abord, le portail Librel.be, soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui selon Sébastien Goffe, responsable du développement technique du projet, doit permettre « aux libraires labellisés de disposer de leurs propres boutiques en ligne de livres numériques. Pour ce faire, le portail se composera d’un site e-commerce de référence et offrira à chaque libraire affilié un « corner » avec une URL propre qui pourra être décliné à sa guise. » Les libraires belges pourront donc se positionner sur le segment du livre numérique tout « en adaptant la charte graphique du site et en activant des fonctionnalités prévues comme un blog, des conseils de lecture, une newsletter, des chroniques et bien d’autres ».

 

Dans un autre ordre d’idée, la plateforme de bandes dessinées numériques Sequencity développée par la start-up Actialuna propose une « cité des libraires » : l’internaute qui s’y connecte peut accéder à plusieurs librairies en ligne et consulter les recommandations et les conseils de professionnels, naviguer parmi les titres sélectionnés et mis en avant, dialoguer en direct avec des libraires. Faire des libraires des « ambassadeurs » du projet et « mettre en évidence la valeur ajoutée » de leur travail est présenté par Samuel Petit, fondateur de l’entreprise récemment invité par le PILEn, comme le cœur d’activité de la plateforme.

 

Ces initiatives mettent non seulement l’accent sur le développement de nouveaux modes d’accès au livre à travers la vente d’e-books, mais aussi sur la fourniture d’outils pour prolonger en ligne l’expertise professionnelle du libraire, pour valoriser ses fonctions de conseil et d’animation commerciale. Qu’il s’agisse de livres numériques ou de livres imprimés, cette manière d’envisager la médiation culturelle correspond à la voie tracée par de nombreux acteurs depuis quelques années : coups de cœur, actualités, critiques, vidéos, podcasts, réseaux sociaux, sélections thématiques de livres – un ensemble de dispositifs qui coexistent sur les sites web, et dont l’ambition, selon le président du Cercle de la librairie, Denis Mollat, est de « transposer dans le monde du Net ce qui se passe en librairie ».

Parallèlement, la mise en place de services numériques au sein même des magasins est aussi explorée avec plus ou moins de succès, comme la vente de liseuses, l’installation de bornes d’achat d’e-books ou de machines d’impression à la demande. Bien que confrontées à l’enjeu du commerce du livre numérique, les librairies indépendantes rencontrent dans leurs initiatives des obstacles difficiles à surmonter, liés aux coûts d’investissement relativement importants et au caractère naissant du marché qui rendent incertaines les perspectives de rentabilité.

Cet article vous est proposé dans le cadre d'un partenariat éditorial exclusif entre Karoo et le PILEn autour du livre numérique afin d’explorer de manière complémentaire ses défis et enjeux pour les professionnels et le grand public. Tous les mois, aux articles thématiques publiés sur le site futursdulivre.be répondront des entretiens d’experts publiés sur karoo.me.

 

1 « Amazon.fr distribuerait 60% des livres vendus en ligne, Fnac.com 30-35%, et le reste serait pris en charge par Chapitre.com, Decitre.fr, GibertJoseph.com et d’autres sites indépendants », Librairies en ligne, Vincent Chabault, Presses de Sciences Po, 2013.

2 En France, par exemple, la loi dite « anti-Amazon » votée au Parlement en janvier dernier interdit le cumul de la gratuité des frais de port et la remise de 5% autorisée par la loi Lang de 1981. Pour contourner cette disposition, l’entreprise américaine facture désormais la livraison à ses clients à 1 centime d’euro.

3 Aux Etats-Unis, en 2013, Amazon concentrait 65% des ventes d’e-books, contre 25% pour Barnes and Noble et 10% pour Apple, http://www.digitalbookworld.com/2013/apple-ibooks-at-24-worldwide-ebook-market-share-one-analyst-thinks-so/

4 En 2011, le portail collectif de vente en ligne 1001libraires.com est lancé par le Syndicat de la Librairie Française (SLF). Des problèmes techniques récurrents, une mauvaise gestion et des résultats commerciaux décevants entraîne la fermeture du site en mai 2012.

5 Vers la fin des librairies ?, La Documentation française, 2014.